Performance « Bleus », workshop avec l’artiste Michel Boisse
Performance avec des packs de gel chauds et glacés.
Le spectateur choisit s’il applique du chaud ou du froid sur la personne couchée.
Texte rédigé après la performance, 13/04/2018:
Jour « étoile » selon Murat. Signe que cela devrait bien se passer.
C’est un vendredi treize. J’ai envie de fuir loin, pour ne plus jamais revenir. J’essaie de me convaincre que je ne suis pas une poule mouillée.
Dans ma tête, une joute verbale entre elle et elle.
Les réchauds gargouillent pendant que le congélateur frémit.
Trois jours que je suis au plus proche de mes poches thermiques de gel bleu.
Il y a quelque chose de rassurant à les avoir près de moi.
Les poches froides me font peur, car je sais qu’elles peuvent me faire mal. Elles endorment pour mieux piquer. En même temps, avec le froid, je me sens vivante.
J’ai découpé des zones sur le vêtement bleu (une blouse d’hôpital à usage unique) : un rond sur le genou droit, un carré sur le coeur, un rectangle sur le ventre, un autre sur le tibias et plusieurs sur les bras.
Le peignoir me transforme en boxeuse prête à monter sur le ring et Anne et Murat incarnent mes coachs.
Je porte un masque sur la bouche et le nez. À peine posé, il m’oppresse. Je respirais déjà mal à cause du stress, le Ventolin m’avait calmée. Maintenant que je suis couchée, à leur merci, les spectacteurs appliquent du chaud et du froid, sur cette blouse découpée, ultime barrière entre ma peau et les poches de gel bleu.
Le masque qui m’empêche de respirer me détourne de la douleur. Je ne ressens plus le froid. La chaleur sur mon ventre m’apaise. Si quelqu’un m’avait appliqué du froid sur le ventre, je n’aurais pas tenu plus de trois minutes. Une âme charitable a dû avoir pitié de moi.
Un∙e autre dépose une poche glacée sur ma cheville droite. Toute mon attention se focalise à présent sur cette zone-là. Puis, quelqu’un remplace une froide par une chaude. Le contraste de température me picote la peau.
Les chaussons bleus collent à la sueur de mes pieds.
Mes yeux demeurent clos du début à la fin de la performance. Aucune émotion ne se lit sur mon visage, en partie caché par le masque.
La soumission.
Être vulnérable.
Se mettre en danger.
Se mettre à nu ou presque.
Dans ma tête, tous les signaux d’alarme sont activés.
Ils auraient pu me frapper ou me recouvrir de poches glacées que je n’aurais pas réagi.
Qu’est-ce qui est plus dur, la douleur ou la perspective de la douleur ?
Je souris lorsque l’un d’eux pose une poche glacée sur mon front en appuyant fermement. Je m’y attendais. J’ai omis de donner la seule consigne que je souhaitais donner : ne rien appliquer sur le visage. J’ai l’impression que mon cerveau se met à geler ; je sens que le froid pourrait le grignoter.
« Je compte jusqu’à dix et j’arrête », mais des mains inconnues déposent une poche froide sur mon coeur.
Mon souffle se fait plus court. Je sens mon ventre monter et descendre rapidement.
À bout de souffle, les yeux écrasés par la couleur bleue sur mes yeux, je me lève et m’assieds.
Je revis.
Les poches bleues glissent autour de moi et tombent au sol.
Je grelotte de la tête aux pieds.
Michel Boisse me dit que j’ai une grande résistance à la douleur.
Je sais.
Merci ?